24 mars 2023
Lettre envoyée à à l’honorable Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique et monsieur Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs afin de les sommer d’agir face à la menace de la spéculation sur l’eau en marge de la Conférence sur l’eau des Nations Unis à New York qui s’est terminée le 24 mars 2023.
Messieurs,
À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau le 22 mars dernier, une journée vouée à protéger et étendre le droit et l’accès universel à l’eau potable dans le monde, un média québécois a choisi d’offrir sa plateforme à une entreprise cherchant à restreindre précisément l’accès public à cette ressource des plus critiques [1].
Cette entreprise, Prime Drink Group Corp. [2], possède une quantité inquiétante de permis de prélèvement d’eau au Québec. Selon son propriétaire, elle possèderait les droits d’exploitation à des fins commerciales de plus de 30% de l’eau de source de la province [3]. De son propre aveu lors de l’entretien cité plus haut, le propriétaire ne cherche pas à exploiter cette réserve d’eau douce, mais plutôt à « s’asseoir dessus » le temps que sa valeur augmente. Ceci est ce qu’on appelle de la spéculation sur l’eau, une forme de financiarisation de cette ressource naturelle.
Plusieurs faussetés ont été prononcées lors de cet entretien, montrant d’ailleurs le manque de compréhension du propriétaire par rapport à la matière première de son entreprise, mais la plus aberrante et la plus dangereuse qu’il ait dite est que « l’eau est privée ».
Le Code civil du Québec confère à l’eau le statut juridique particulier de « chose commune », donc l’eau, en principe, n’appartient à personne. Ce concept d’eau comme « bien commun » nous a d’ailleurs été rappelé par le président de l’Assemblée générale des Nations-Unie, Csaba Kőrösi, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence de l’ONU sur l’eau qui a lieu du 22 au 24 mars [4]. Ce rassemblement mondial a pour mission de trouver des solutions à la crise mondiale de l’eau qui se dessine nettement à l’horizon. Ajoutons également que le Canada est signataire de la résolution de l’ONU reconnaissant le droit à l’eau potable comme un droit fondamental [5].
Malgré ce statut de bien commun, l’eau est essentielle au fonctionnement de plusieurs secteurs privés, notamment l’agriculture et les industries. Le gouvernement provincial se voit donc imposer le rôle de gestionnaire de la ressource pour en assurer la répartition juste et équitable. Des politiques et lois ont été établies au fil des années pour aider à structurer cette gestion, et nous pourrions en discuter longuement [6], mais résumons simplement que celles-ci ne prennent pas en compte les nouvelles réalités et menaces pesant sur la ressource. Ces mécanismes sont donc désuets et fragiles face à cette tentative de main basse sur notre réserve d’eau douce qu’est la financiarisation.
C’est pourquoi il est possible à l’heure actuelle, pour des entités privées, de s’accaparer les droits d’exploitation d’innombrables quantités d’eau, privant ainsi la population générale de bénéficier d’un accès garanti à la ressource. Et puisque, contrairement à une autre fausse affirmation de la part de l’entreprise nommée plus haut, l’eau douce au Québec est limitée et que seul un très faible pourcentage (entre 1 et 4%) est renouvelable annuellement, nous nous retrouvons donc dans une situation de spéculation qui mènera, sans aucun doute, à une atteinte aux droits et à l’accès à l’eau potable si la situation n’est pas corrigée.
C’est pourquoi nous demandons à nos gouvernements de mettre en place la législation nécessaire pour bloquer dès maintenant cette financiarisation de notre ressource la plus critique créée par l’acquisition de permis de prélèvement sans affectation déterminée. Plus de 3200 personnes ont d’ailleurs déjà signé une pétition exigeant des actions concrètes de la part du gouvernement fédéral [7]. Nous ne devons pas nous laisser berner par le mythe d’une eau douce inépuisable au Canada puisque la réalité est toute autre. Le cas de Prime Drink Group Corp. nous démontre à quel point nous sommes déjà, dès aujourd’hui, en proie à la spéculation sur notre eau douce. Si nous voulons garantir un accès adéquat à une eau de qualité et en quantité suffisante pour nos générations futures, nous devons agir MAINTENANT.
Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau Secours
Martine Chatelain, membre de l’Agora des habitants de la Terre
François L’italien, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC)
Meera Karunananthan, Présidente du Blue Planet Project
Références:
- https://omny.fm/shows/richard-martineau/eau-je-suis-le-gentil-des-m-chants-dit-olivier-pri
- La compagnie était jusqu’à tout récemment nommé Dominion Water Reserves – https://thecse.com/en/listings/diversified-industries/prime-drink-group-corp
- idem
- https://news.un.org/fr/story/2023/03/1133557
- https://press.un.org/fr/2010/AG10967.doc.htm
- https://fondationrivieres.org/politique-nationale-de-leau-20-ans-avancee-surplace/
- https://www.liberonsleaudelabourse.com/