22 mars 2025
La protection et la conservation de l’eau au Québec ne passent pas par la nationalisation. L’eau est une ressource vitale pour les êtres humains ainsi que pour tout le vivant. La mettre dans la même catégorie que des ressources marchandes comme les minéraux critiques ou encore la comparer à la production d’électricité est une grave erreur. Il faut se tenir loin des projets qui cherchent à donner une valeur marchande à l’eau. Sa valeur est inestimable.
Nous avons su, au Québec, mettre en place un cadre réglementaire complet sur l’utilisation de l’eau douce. Celui-ci est-il parfait? Non, mais ce cadre offre à nos décideurs les outils nécessaires pour agir afin d’assurer la protection de l’eau tout en faisant passer les besoins essentiels de la population et des écosystèmes avant les activités économiques. La Loi sur l’eau du Québec représente ainsi un fleuron international dont nous pouvons être fiers.
À qui appartient l’eau au Québec?
Au Québec, l’eau dans son état naturel est considérée comme une « chose commune ». C’est l’article premier de la Loi sur l’eau, adoptée en 2009, et l’article 913 du Code civil du Québec qui le rappelle. Cela s’applique tant aux eaux souterraines qu’aux eaux de surface. En intégrant l’eau au patrimoine commun de la nation québécoise, cette loi affirme que nous reconnaissons l’importance de l’eau pour l’ensemble de la société québécoise. Concrètement, l’eau, dans son état naturel, n’appartient à personne et c’est le ministère de l’Environnement qui accorde des permis de prélèvement d’eau aux différents utilisateurs, comme les municipalités, commerçants, industries et institutions. Soyons clair, ces acteurs ont le droit d’utiliser certains volumes d’eau, ils ne la possèdent pas.
Le statut juridique de « chose commune » est celui qui donne la meilleure protection à l’eau, dans une perspective de droit humain à l’eau, de pérennité de l’eau et de maintien de l’équilibre des milieux de vie. Il s’agit surtout d’une protection efficace contre l’une des menaces les plus pressantes aujourd’hui : la pression pour commercialiser et exporter l’eau en vrac. C’est que les « choses communes », les res communes, sont HORS COMMERCE par définition.
Nationalisation, pas toujours synonyme d’amélioration
Si la création d’Hydro-Québec et la nationalisation de la production d’énergie ont été un moment décisif pour le Québec, tant au niveau économique que social, la nationalisation de l’eau serait une tout autre histoire.
D’abord, ce sont les activités de production et de distribution d’énergie hydroélectrique qui furent nationalisées, mais non l’eau en tant que telle. Cette dernière n’est pas une activité économique à faire fructifier, il s’agit d’un patrimoine naturel à protéger.
Deuxièmement, le contexte initial entre Hydro-Québec et l’eau est radicalement différent. Lors de la mise en place d’Hydro-Québec, il s’agissait de faire passer cette filière d’une gestion privée à une gestion publique. Dans le cas de l’eau dans son état naturel, une nationalisation impliquerait de retirer son caractère collectif pour en faire une propriété publique.
En résumé, la nationalisation de l’eau signifie de retirer le statut de chose commune à l’eau pour en faire un bien public, la rendant ainsi vulnérable à des décisions politiques qui pourraient rechercher la marchandisation ou des fins lucratives. Cette modification donnerait ainsi le pouvoir au gouvernement de commercialiser l’eau.
De la propriété publique à la vente aux enchères
À partir du moment où le gouvernement détient le pouvoir de marchander l’eau, l’attrait de s’enrichir au détriment des écosystèmes et des besoins vitaux devient une épée de Damoclès. Le retrait du statut de chose commune ouvre également la porte à la privatisation, puisqu’une propriété publique peut être transférée à une propriété privée à tout moment – on le voit bien avec Hydro-Québec.
Ainsi, chaque cycle électoral amènerait son lot d’incertitudes selon les orientations et idéologies des partis politiques au pouvoir. Nationaliser l’eau revient donc à retirer la principale protection dont nous disposons contre l’exportation et la vente en grandes quantités de l’eau de nos lacs, rivières et aquifères.
Soyons du bon côté de l’avenir
Ouvrir le robinet du Québec aux plus offrants irait ainsi complètement à l’encontre de nos choix collectifs. À l’heure où notre puissant voisin semble abandonner toute valeur autre que l’argent, y compris les choix démocratiques des peuples, il nous semble pertinent de rappeler ces choix clairement exprimés dans le rapport du BAPE au tournant du millénaire. Nous avons mis des décennies à construire un cadre juridique qui repose sur un consensus québécois quant à l’importance de l’eau pour le Québec. Nous avons intérêt à protéger cet acquis à tout prix, pour les générations actuelles et celles à venir.
Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau Secours
Sylvie Paquerot, membre du CA de la fondation Danielle Mitterrand
Alexandre Lillo, professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM
Geneviève Paul, directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE)