10 mars 2025
Cet article est paru dans l’édition de septembre 2024 de la revue Vecteur Environnement .
PAR GABRIELLE ROY-GRÉGOIRE, M. Sc. Env.
Chargée de projet, Eau Secours
La vapeur d’eau est le gaz à effet de serre prédominant dans l’atmosphère. L’eau et son cycle jouent un rôle déterminant dans la circulation et la transformation de l’énergie solaire. Face aux dérèglements climatiques croissants, il est impératif de s’intéresser au rôle de l’eau dans la régulation climatique et de l’intégrer dans l’adaptation des villes et municipalités au Québec.
Le cycle de l’eau, globalement, suit le mouvement de l’eau dans les larges échanges entre les océans et la terre ; il s’agit du grand cycle de l’eau. Le petit cycle de l’eau, pour sa part, est un cycle local qui décrit la circulation de l’eau dans une même zone. Influencés par la morphologie d’une région, par l’humidité et par les interactions avec les cycles environnants, les cycles locaux font circuler l’eau à travers les grandes étapes du cycle de l’eau – l’évaporation, la condensation et les précipitations – dans un même environnement. Il s’agit d’une circulation dite fermée.
Ce petit cycle de l’eau est crucial à notre approvisionnement en eau sur le territoire puisqu’il est estimé que 50 % à 65 % des précipitations annuelles sont engendrées par cette circulation locale (Kravčík et collab., 2007). La terre reçoit annuellement en moyenne 720 mm de précipitations, et plus de la moitié (soit 410 mm) proviendrait de l’évaporation locale de ses propres sols (Kravčík et collab., 2007, p. 17). Ce processus d’évaporation dépend de la disponibilité de l’eau dans les sols, alors que cette disponibilité est liée à la qualité du sol qui reçoit les précipitations. La bonne circulation locale de l’eau – qui engendre des effets refroidissants naturels sur un territoire et contribue à un climat stable – est donc étroitement reliée aux efforts de protection et de maintien des espaces naturels.
Des processus de climatisation naturels
Walter Jehne explique que l’eau gouverne 95 % des dynamiques thermiques de la planète (Jehne, 2017). Le cycle de l’eau contribue à la régulation du climat avec des mécanismes de réchauffement, notamment par l’effet de serre (la vapeur d’eau représente de 1 % à 4 % des gaz atmosphériques) (Jehne, 2017). Afin de limiter un effet de serre extrême, le cycle de l’eau permet également des mécanismes de refroidissement. Les nuages représentent le premier processus de refroidissement important du cycle de l’eau, et ce, pour trois raisons. D’abord, leur formation permet de retirer la vapeur d’eau chargée d’énergie de l’atmosphère en créant ces énormes masses d’eau dans le ciel. Ce changement d’état physique par condensation permet effectivement de transférer l’énergie de l’air aux nuages, retirant ainsi la chaleur de l’air. Ensuite, ceux-ci créent un effet d’albédo et réfléchissent une grande partie du rayonnement incident vers l’espace (Feldman, 2023). Il est estimé que 50 % de la planète est – en tout temps – recouverte de nuages qui réfléchissent en moyenne 120 watts par mètre carré (Kravčík et collab., 2007 ; Jehne, 2022). Finalement, les nuages causent les précipitations qui refroidissent la surface terrestre (Schwartz, 2018 ; Jehne, 2017).
Le second mécanisme de refroidissement du cycle de l’eau est l’évapotranspiration au sol. L’évaporation constitue un processus par lequel les sols et les surfaces humides transforment l’eau liquide en vapeur d’eau atmosphérique. La transpiration fait référence au procédé propre aux plantes de transpirer leur eau pour évacuer la chaleur. Les plantes emmagasinent de l’eau par leurs racines et la relâchent par les pores de leurs feuilles, appelés stomates. L’évapotranspiration, ce processus cumulatif d’évaporation d’eau, requiert 590 calories d’énergie (2 400 joules) pour chaque gramme d’eau transformé de l’état liquide à l’état gazeux. Cela permet de transférer cette énergie thermique des plantes et du sol à la vapeur d’eau, qui l’emporte en altitude, où l’air ambiant est plus frais. Avec une disponibilité d’eau suffisante, certaines plantes peuvent évaporer plus de 20 litres d’eau par mètre carré au cours d’une journée ensoleillée, ce qui représente un transfert de plus de 11 millions de calories d’énergie (par m2) (Kučerová et collab., 2001). Ce système d’air conditionné naturel, porté par les végétaux, a un effet refroidissant exceptionnellement efficace. Finalement, l’eau – sous forme de vapeur – est transportée à des zones d’air plus frais où des noyaux de précipitations se forment grâce à la condensation, qui forment les nuages.
Des conditions au maintien au cycle de l’eau
L’évapotranspiration et la stabilité du cycle de l’eau ne sont possibles qu’à condition d’avoir une disponibilité d’eau dans le sol, d’où l’importance des sols riches et de végétations qui permettent l’infiltration. Les sols agissent comme des éponges ; ils permettent la rétention d’eau et assurent sa disponibilité pour la croissance des végétaux ainsi que pour alimenter le cycle hydrologique (Feldman, 2023). Plus les sols sont appauvris et asséchés, plus l’infiltration de l’eau en profondeur est difficile, ce qui engendre un ruissellement. Le cycle de l’eau fait donc face au défi de rétention de l’eau sur un territoire. Les nombreux usages du territoire (déforestation, agriculture intensive et urbanisation) ont mené à l’appauvrissement, à l’aridification et à la minéralisation des sols. Dans les villes et municipalités, la prédominance de béton et de bitume imperméabilise les sols et augmente de manière significative le ruissellement des eaux de pluie vers l’océan, hors de l’écosystème local.
Cet aménagement du territoire pose non seulement des risques en matière d’événements météorologiques extrêmes, mais cause un « déséquilibre permanent et systémique de l’eau sur un territoire » (Kravčík et collab., 2007, p. 50). Un effet de synergie mène à une intensification tangible, rapide et continue de changement climatique à une échelle régionale comme globale. Pour le climat, la végétation terrestre est essentielle pour la transformation de l’énergie solaire (Kravčík et collab., 2007). Sans les plantes, la majorité de cette énergie est transformée en chaleur sensible, ce qui accroît de manière considérable la température. La présence de végétation permet de convertir l’énergie solaire en chaleur latente (Kravčík et collab., 2007). Ce phénomène, combiné à l’ombrage procuré par la canopée, permet cette fraîcheur caractéristique des espaces naturels et boisés.
Vers une résilience territoriale
La restauration du cycle de l’eau est nécessaire et peut se faire en maintenant l’eau de précipitations dans le même environnement. Comme mentionné précédemment, un cycle de l’eau optimal propose des apports significatifs à l’adaptation aux changements climatiques qui bouleversent les modes de vie. En privilégiant les espaces végétalisés en milieu urbain et en restaurant la végétation sur le territoire, les populations du Québec peuvent bénéficier d’environnements mieux adaptés aux aléas climatiques et plus résilients aux événements météorologiques extrêmes. Des initiatives telles que Ville éponge sont intéressantes, mais la restauration du cycle de l’eau dans les communautés humaines demande de rompre avec les approches fragmentées, et exige une gestion intégrée et intersectorielle pour une transformation systémique.
Références
Daniel, J.-Y. (dir.) (1999). Sciences de la Terre et de l’Univers. Éditions Vuibert, Paris, 371 p.
Feldman, J. (dir.). (2023). Regenerating life [Documentaire]. Hummingbird Films. En ligne : hummingbirdfilms.com/regeneratinglife/story.
Jehne, W. (2017). Restoring Water Cycles to Naturally Cool Climates and Reverse Global Warming [Communication orale]. Ateliers au Lake Morey Resort, au Vermont : Changements climatiques et mitigation climatique. En ligne : youtube.com/watch?v=K4ygsdHJjdI.
Jehne, W. (2022). Cooling the Climate Mess with Through Soil and Water [Communication orale]. Série de conférences à Cambridge, au Massachusetts : Biodiversity for a Livable Climate en partenariat avec Life Saves the Planet. En ligne : youtube.com/watch?v=t3rIkYUVq5c.
Kravčík, M., et collab. (2007). Water for the Recovery of the Climate – A New Water Paradigm. Krupa Print, Žilina, 94 p.
Kučerová, A., et collab. (2001). « Evapotranspiration of small-scale constructed wetlands planted with ligneous species ». Dans : Vymazal, J. (dir.), Transformations of nutrients in natural and constricted wetlands, Backhuys, p. 413-427.
Schwartz, J. (2018). Climate Opportunities in Plain Sight: The Role of Water [Communication orale]. Symposium à l’Université Concordia, à Montréal : Living Soils Symposium. En ligne : youtube.com/watch?v=YFS0aOayNgs&t=1040s.