À l’opposé de l’industrie des mégaporcheries, l’agriculture de proximité a traversé haut la main la crise pandémique, en démontrant qu’elle renforce davantage la souveraineté alimentaire en temps de rupture des chaînes d’approvisionnement mondiales. Toutefois, et dans un contexte de crise climatique et de raréfaction des ressources en eau, cette agriculture n’échappe pas aux défis du partage de l’eau.
Émilie Viau-Drouin, fermière, présidente de la Coopérative pour l’Agriculture de Proximité Écologique (la CAPÉ), et dirigeante de la micro-ferme biologique Les jardins de la grelinette, de Maude-Hélène Desroches et Jean-Martin Fortier, nous explique que ce qui définit l’agriculture de proximité est la mise en marché, c’est-à-dire la vente directe aux consommateurs, grâce aux paniers biologiques, au réseau des fermiers de famille, aux marchés publics, et aux épiceries du village. Contrairement à l’agro-industrie, l’agriculture biologique a comme valeur le souci de la protection de l’environnement.
La micro-ferme privilégie un modèle de production bio-intensif, sur une petite superficie de seulement un hectare. Ce type d’agriculture ne demeure pas moins productif, puisqu’il permet d’alimenter plus de 300 familles. La production privilégie le rapprochement des planches et l’intensification de celles-ci, en plantant par exemple 6 rangs de carottes sur une planche plutôt que 3. Par ailleurs, l’agriculture biologique n’utilise pas de pesticides ni d’insecticides. Cela évite le relargage de produits chimiques dans les sols, les cours d’eau, les lacs et les rivières, et permet de préserver la qualité des milieux terrestres et aquatiques et leur biodiversité. Ce type de production ne demeure pas moins productif, puisqu’il permet d’alimenter plus de 300 familles.
Un autre aspect auquel les fermes maraîchères portent une attention particulière est celui de l’économie d’eau. En effet, la production maraîchère a besoin d’environ un pouce d’eau au sol par semaine pour l’irrigation des légumes afin qu’ils puissent avoir une croissance régulière. La ferme les jardins de la grelinette combine quelques techniques simples, afin de permettre une irrigation optimale et la préservation des ressources en eau, en fonction de la pluie reçue.
La première technique est l’utilisation dans le champ d’un pluviomètre. C’est un récipient gradué qui mesure le volume de pluie tombée dans un lieu pendant un temps donné. Cela permet aux fermiers de savoir à quel moment ils doivent irriguer. La deuxième technique est de toucher le sol pour sentir son humidité. La troisième technique utilise les toiles géotextiles pour couvrir les planches, ce qui protège le sol contre les érosions du vent et du soleil, et retient son humidité plus longtemps. La quatrième technique déploie un système d’arrosage de goutte-à-goutte sous les toiles géotextiles, à la surface du sol. C’est un dispositif d’irrigation de surface, composé de tuyaux de plastique perforés dans lesquels l’eau circule, permettant une irrigation régulière et à très faible débit.
Malgré ces nombreuses techniques déployées pour minimiser l’utilisation d’eau, l’agriculture biologique n’échappe pas aux pénuries d’eau et aux sécheresses qui frappent le sud du Québec depuis plusieurs années. Ce stress hydrique affecte la croissance des légumes et parfois cause leur perte, mais cause également un stress chez les maraîchers. Dans leurs derniers rapports publiés en 2022, les groupes scientifiques comme le GIEC* et Ouranos* ont qualifié le stress hydrique comme une conséquence des changements climatiques, tout en rappelant qu’il est en voie de devenir plus fréquent et plus intense. Ces deux groupes pressent les pouvoirs politiques d’accélérer les mesures d’adaptation.
L’alimentation locale du Québec est devenue très vulnérable face au stress hydrique causé par les changements climatiques. Le manque d’eau, qui était considéré comme une exception au Québec il y a quelques années, est en train de devenir la règle. Or, comme l’eau est indispensable à la production maraîchère, et que les Québécois ont exprimé leur volonté de bonifier leur souveraineté alimentaire, grâce à des produits locaux, le gouvernement du Québec doit repenser les politiques de gestion des ressources hydriques guidées par la science et les données probantes, et qui tiennent compte du stress hydrique actuel et à venir. Ces politiques, pensent les maraîchers, doivent prioriser les secteurs d’industrie qui doivent accéder en premier lieu à l’eau, comme l’agriculture maraîchère, dans le but de renforcer la souveraineté alimentaire.
* GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
* Ouranos : Consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques